Pourtant celles dont je vous parle ici ne vont pas en boite...
En tout cas pas celles qui, prises d'une folie soudaine autant qu'inexplicable se mettent à nager et à sauter en tous sens (mais non, pas en toussant !) et qui, s'essayant au vol plané et aux figures libres aériennes, sautent sur le quai. Il suffit de les voir s'agiter et se trémousser dès qu'elles ont mis nageoire à terre, car elles ont le rythme dans les écailles, pour se persuader qu'elles n'ont nul besoin d'aller s'éclater en boite (de nuit, vous l'avez compris).
Et puisqu'ensuite elles se dirigent droit vers la casserole, se moquant superbement des circuits habituels de distribution en sautant directement du producteur au consommateur, en un "nageoire-de-nez" moqueur aux grossistes et autres intermédiaires, il s'avère qu'elles ne passent pas par la boite (de conserve celle-là) non plus.
Alors où sont-elles serrées ces sardines-là si ce n'est ni dans la boite ni dans la boite ?
Vraisemblablement pas plus dans la poêle, car dans ce cas il n'est pas aisé (j'adore cette expression avec les liaisons) de les y faire cuire. Et puis, en principe on ne met dans la poêle que des sardines qui ont préalablement expirées, ce qui se produit immanquablement au bout d'un certain temps lorsqu'elles ne sont plus dans l'eau, car elles sont alors "débranchies". Or chacun sait qu'une telle sardine n'a plus l'usage de ses cordes vocales, quand bien même aurait-elle une communication de la plus haute importance à faire, ce qui inclut évidemment toutes sortes de plaintes, y compris celles abordant le sujet sensible de l'espace disponible.
Il ne reste donc plus qu'un seul lieu où les sardines peuvent évoquer ainsi leur statut et s'en plaindre, c'est dans l'eau. Même si ceci peut nous sembler paradoxal.
Grâce à l'approche logique, pragmatique et reconnaissons-le, quasi-scientifique qui précède, et qui éclaire le phénomène, nous devons accepter ensemble de conclure à la surpopulation sardinale, laquelle est certainement pour cette espèce, suffisamment source d'inconfort, pour qu'elle se décide tout à la fois d'en faire une chanson à succès ainsi qu'un flashmob sur le quai, alors que ceci n'entre pas dans ses compétences habituelles.
C'est en espérant vous avoir sensibilisé à ce problème existentiel que je me dirige vers la sortie, non sans vous avoir au préalable invité à adopter comme moi une nouvelle résolution :
Manger des sardines pour faire de la place dans les océans....
A bientôt !
C'est quand l'orchestre cesse de jouer que les danseuses cessent de se trémousser. ..
PS : Quelques jours plus tard, une odeur nauséabonde se propagea dans la cabine avant tribord (la cabine invités) qui me sert, à défaut d'invité, de cabine fourre-tout. Au début j'ai pensé à un aliment oublié dans la glacière portable que j'y range, mais cela faisait bien longtemps que je ne l'avais pas utilisée aussi cela sembla étonnant. Décidé à faire cesser cette émanation écoeurante qui n'allait certainement pas tarder à devenir insupportable et à gagner tout le bord, je me suis décidé à vider la cabine, pensant y découvrir une bestiole crevée dans un recoin. Et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir dans l'équipet (sorte d'étagère à rebord) qui longe la coque au-dessus du couchage, une sardine de belle taille laquelle avait réussi à sauter à travers le hublot de coque qui était juste entr'ouvert pour atterrir dans ledit équipet, se décidant dans son incapacité à trouver le chemin du retour à y finir ses jours en y répandant ce fumet rancunier.
On voit bien à la lueur de cette anecdote que cette espèce est fort respectueuse des convenances puisqu'il m'est apparu soudain que si cette sardine n'avait eu cure d'utiliser la cabine dédiée aux hôtes du bord, elle aurait très bien pu sauter de la même façon dans la cabine opposée qui est la mienne, finissant sa course nocturne en plein dans la figure du capitaine au repos, ce qui, avouons-le n'est pas la façon la plus élégante de s'inviter à bord !