mardi 22 juillet 2014

La mer ou l'amer ?




Pendant nos navigations, nous veillons, en bons marins consciencieux que nous sommes, le canal 16 sur la VHF. Ce canal est également veillé en permanence par le CROSS qui est le centre régional qui gère les secours et coordonne les moyens déployés pour l'assistance aux marins. C'est un canal commun à tous qui n'autorise pas de communication privée. Ce que vous dites sur le "16" est entendu de tous, et à l'inverse vous entendez ce que les autres y communiquent, pour autant que vous vous trouviez dans la même zone de navigation (on n'y entend pas ce que racontent les bretons en Bretagne quand on navigue en méditerranée par exemple. Qui a dit "heureusement" ??!...).

L'autre jour, nous étions l'après-midi, en train d'effectuer la traversée entre Port-Cros et la Corse, cap sur le "cap corse" justement, lorsqu'un message en provenance d'un autre bateau capta notre attention, une alerte concernant "un homme à la mer", une femme en l'occurrence. Les conditions de navigations étaient clémentes alors, en pleine journée ensoleillée, mer belle, vent d'environ 12 noeuds et température de l'eau estivale faisant que même si il n'est jamais anodin de voir un équipier tomber à l'eau, autant que ce soit dans ces circonstances là ! Mais voilà, la suite du message était terrifiant : le skipper était parti se reposer à l'intérieur du bateau depuis 1 heure et lorsqu'il était remonté sur le pont sa femme avait disparu...elle n'était plus sur le bateau ! Forcément en 1 heure un bateau ça avance ! Bien évidemment , j'imagine la détresse de cet homme appelant sa femme et se rendant dans tous les coins de son bateau en se refusant de croire à l'impensable : elle était tombée à l'eau...mais où, mais quand ?? Comment la retrouver dans cette étendue si vaste , tout ce qui est visible d'une personne dans l'eau, c'est sa tête, grosse comme un ballon....si elle n'est pas déjà sous l'eau.

Ici on ne reste pas au bord de la route, ici il y a du vent, des courants, des vagues. En 1h, une personne tombée à l'eau peut énormément dériver...et il y a plus de 2000 m de fond !
Très vite les secours se sont organisés et un avion de la marine ainsi qu'un hélicoptère ont décollés de leur base respective afin de baliser la zone, d'y patrouiller et de démarrer les recherches après avoir fait des estimations de courant et de dérive possible. Un plaisancier qui naviguait dans le secteur s'est également dérouté pour aller prêter main forte. La solidarité des gens de mer n'est pas une légende urbaine. Nous avons reportés les coordonnées longitude et latitude sur la carte : nous étions à une quarantaine de milles du lieu des recherches c'est à dire à environ 8h de navigation à la vitesse qui était la notre à ce moment-là, puisque le drame s'était joué devant nous, là-bas, si près mais hors de notre portée malgré tout.
Le ballet des avions de recherche a duré tout l’après-midi et je dois bien reconnaître que passé la première heure, tout au plus une heure et demie, les doutes ont du commencer à s'installer dans l'esprit de cet homme, qui, au demeurant semblait parfaitement maîtriser ses émotions, tout au moins pour ce que nous pouvions en juger à l'écoute des différents échanges radio qui ont ponctués l'après-midi. Là nous en étions à plus de deux heures de recherche, les appareils en vol étaient déjà partis ravitailler un première fois.Et puis soudain, un message d'un bateau qui disait envoyer une bouée, un bref instant on a pu croire qu'il s'agissait d'une autre intervention, ce bateau n'avait jusqu'alors pas été entendu sur les ondes. Et puis une confirmation, quelques échanges radio un peu dans l'incompréhension de ce qui passait...notre homme se trompant dans le nom du bateau et en appelant un autre, à plusieurs reprises, qui ne répondait forcément pas, on sentait sa voix vibrer. Personne ne lui répondant. Et puis c'est ce bateau qui a lui-même appelé pour annoncer qu'il venait de retrouver sa femme saine et sauve ! D'un coup toutes les tensions se sont libérées et ce malheureux marin en pleurait d'émotion et de joie mais aussi sans doute de peur et de doute trop longtemps refoulés tout au long de cet après-midi qui restera je pense inscrit dans sa mémoire pour toujours. Une grande émotion nous envahit nous aussi qui avions suivi à distance ce drame de la mer et son heureux dénouement.

Oui, la mer ça peut être amer...
On le sait, on y pense, et puis on continue parce que c'est tellement fort...

PS : Sommes toujours à Bastia, départ prévu demain fin de matinée cap sur l'ile d'Elbe, une courte navigation, mais cependant nous quittons la France pour l'Italie. On verra bien pour les connexions internet....

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