Le soir approche lentement et apporte enfin un peu de fraîcheur. Le soleil a déjà disparu derrière la ligne des maisons multicolores qui bordent le quai. Une petite brise s'est levée et les quelques petits palmiers et la promenade aménagée devant les bateaux commencent à s'animer. Quelques drisses claquent par intermittence et les pavillons multicolores qui décorent les proues des bateaux à quai s'orientent tous dans le même sens tout en voletant, malgré leurs nationalités différentes, dans un joyeux concert de couleurs du plus bel effet. Devant sa boutique démodée, Kostas est assis sur une chaise en plastique qui fût sans doute blanche, et qui semble être la seule concession à la modernité qu'il ne fera jamais. Mais les modes passent et lui et sa boutique, sont toujours au même endroit. Je suis persuadé que si l'on pouvait mettre la main sur une photo des années 20, on pourrait voir Kostas tel qu'on le voit aujourd'hui, avec à peine quelques rides en moins, des bateaux de pêcheurs remplaçant les nombreux bateaux de plaisance sur le quai. Dans sa boutique, on y trouve tout ce qu'on penserait ne jamais pouvoir y trouver justement. Il semblerait que pour qu'un objet ait pu un jour, obtenir la faveur d'y figurer, il devait avant tout faire la preuve de son incongruité ! Un chien est couché devant le petit comptoir en bois rafistolé, à l'exacte même place que celle qu'occupait avant lui, son géniteur et encore avant, son aïeul. Une odeur doucereuse vaguement écoeurante de croquettes pour chien flotte entre les rayons aux contenus disparates. Il doit rester à Kostas moins d'une dizaine de clients aujourd'hui, sans doute autant immuables, sortis tout droit d'une faille du temps, comme des témoins d'une époque qui se refuse à disparaître totalement. Vous ne rencontrerez jamais un touriste ici, Ce serait un choc de culture, de civilisation, d'époque. Ce ne serait d'ailleurs sans doute pas possible, il doit forcément exister des barrières, invisibles surement, entre ces mondes si différents qui ne peuvent que co-exister, et en aucun cas se mélanger. Si Kostas reste devant sa boutique ouverte le soir, ce n'est pas pour le commerce, non. D'ailleurs il vend si peu. Kostas reste parce que le soir, à l'heure où les touristes remplissent les terrasses des tavernas sur le quai devant la boutique, à l'heure de dîner, un accordéoniste se produit l'espace de quelques notes de musique traditionnelle grecque, ponctuant le service des plats. Et il n'y a rien tant qui puisse l'émouvoir, que cette plainte aux accords si plein d'harmonie. Un observateur attentif pourrait peut-être déceler sur cette physionomie presque minérale, si semblable en teinte et en aspect aux rochers qui bordent la côte de son île, comme un peu de brillance au coin de l'oeil. Quels souvenirs à jamais enfouis pour le reste de l'humanité survivent encore et renaissent aux notes de la musique, dans cette tête que l'on dirait sculptée ?
Même le chien paraît revivre et se levant avec difficulté, vient paresseusement lapper dans une écuelle à la propreté douteuse, 1 ou 2 gorgées d'une eau tiède, avant que de se recoucher dehors contre le fauteuil de plastique, comme pour dire à son maître qu''il est maintenant l'heure de fermer.
Bien plus tard, lorsque les derniéres lumières s'éteindront sous les treillages des terrasses et que les derniers touristes auront regagnés leurs hôtels, les accordéonistes couchés, les pavillons des bateaux pendant le long de leur mât, on devinera une faible lumière vaciller puis s'éteindre à son tour, dans la boutique de Kostas, le maître du temps de Levkas.
Il est heureux le chien de Kostas, il a la queue en trompette!! Oui une boutique d'un autre temps....dans un coin un peu perdu sans doute....
RépondreSupprimerje lis et relis ton billet sur Levkas et je me régale. Bravo c'est très poétique , décrit comme tu sais le faire quand tu ressens certaines choses. Encore et encore......
RépondreSupprimerLe texte à lui seul remplace les images, et invite à la rêverie, tant il est imagé, romanesque, sensitif. Un tableau hors du temps, une atmosphère tamisée au rythme alangui, qu'accompagne l'accordéon...
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